TUNISIE
KASSERINE, PORTRAIT D’UNE JEUNESSE DÉLAISSÉE
Sept.oct 2019
Kasserine. Septembre 2019. Veille des secondes élections présidentielles en Tunisie depuis la révolution de 2011. Une vingtaine de jeunes de la ville se sont rassemblés devant le tribunal de la ville. Depuis deux jours, 6 de leurs amis sont en détention préventive pour s’être révoltés alors qu’un graffiti de leur équipe de football avait été recouvert par l’affichage électoral destiné à accueillir les ffiches des candidats à la présidence. Pour ces jeunes, cette action symbolise le mépris que les institutions portent à leur égard et leur rejet des politiciens et de leurs promesses non tenues.
Avec un taux de participation des plus faibles pour les élections présidentielles et législatives, la région de Kasserine est représentative des défis que traversent la Tunisie de l’après-dictature. Elle est une des villes qui a été le plus défavorisée sous la période de Z. A. Ben Ali, symbole d’une fracture sociale et territoriale entre les régions du littoral et celle du centre.
Le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES) a notamment constitué un dossier de « région-victime » auprès l’Instance Vérité et Dignité, l’instance de la justice transitionnelle en 2014 dont la mission était de faire la lumière sur les victimes de violences sous la dictature. Une manière de dénoncer officiellement les conséquences de décennies de marginalisation volontaire contre ses habitants. Dix ans après le soulèvement de 2010-2011, le désenchantement a remplacé depuis bien longtemps les espoirs de la révolution .
Chômage massif chez les jeunes, manque de perspectives, indices de développement le plus bas du pays, corruption, absence d’infrastructures publiques, criminalité et terrorisme, Kasserine est l’une des régions qui a souffert d’un retard substantiel de développement au niveau économique, social et humain. La très faible participation des jeunes aux élections présidentielles et législatives de 2019 atteste de leur désintérêt pour la politique.
Dans la cité Ezzouhour (cité des Fleurs), un des quartiers les plus pauvres de Kasserine, la tension est toujours présente. Les jeunes qui ont participé massivement aux soulèvements de 2011 sont aujourd’hui confrontés aux désillusions. Ils ne croient plus aux paroles des politiciens depuis les dernières élections de 2014. L’image de la région s’est fortement dégradée avec les attaques terroristes dans les montagnes alentours.
Entre 2012 et 2018, de nombreux jeunes ont fuit la région, soit pour traverser la Méditerranée, soit en rejoignant les rangs du groupe Etat Islamique. En 2018, les départs clandestins vers l’Europe se sont accélérés. D’après le FTDES, 6000 jeunes auraient tenté la traversé de la Méditerranée. La Tunisie devient une terre sans espoir pour cette jeunesse en recherche constante de leur identité.
Ce reportage dresse un portrait de Kasserine et de sa jeunesse à fleur de peau, symbole des principaux défis de la Tunisie post-dictature.